dimanche 27 mars 2016

Science élégante #3 : 4 nébuleuses...fabuleuses


M57- Nébuleuse de la Lyre 


Située à 2283 années-lumière de la terre, M57, appelée également nébuleuse de la lyre est une nébuleuse planétaire située dans la constellation de la Lyre. Elle est l’un des objets les plus spectaculaires de la voûte céleste. Elle fut découverte en 1779 par Antoine Darquier de Pellepoix.

Il s’agit en fait de coquilles de gaz éjectées par une géante rouge contenant initialement plusieurs fois la masse du soleil. Ces éjections ont débuté il y a environ 4000 ans, mais elles ont maintenant cessé car l’étoile est devenue une naine blanche.
Nébuleuse de la Lyre (Photo Hubble)
http://hubblesite.org/newscenter/archive/releases/1999/01/image/a/



NGC 6543- Nébuleuse de l'œil de chat 

La nébuleuse de l’œil de chat, aussi appelée NGC 6543, est la nébuleuse planétaire la plus brillante du ciel et l’une des plus spectaculaires. D’un âge estimé à un millier d’année, elle est située à une distance de 3262 années-lumière de la terre dans la constellation du Dragon

Découverte le 15 Fevrier 1786 par William Herschel, elle est la première nébuleuse planétaire dont le spectre fut étudié, par l'astronome amateur anglais William Huggins en 1864.

Alors que la nébuleuse intérieure, avec un diamètre de 20 secondes d'arc, est plutôt petite, elle possède un halo de matière très étendu qui a été éjecté par l'étoile qui l'a engendré pendant sa phase de géante rouge.
Nébuleuse de l'oeil de chat ( Crédit: NASA, ESA, HEIC, and The Hubble Heritage Team)
http://www.nasa.gov/multimedia/imagegallery/image_feature_211.html

NGC 7293- Nébuleuse de l'hélice (l’œil de Dieu)

Découverte en 1824 par Karl Ludwig Harding, cette nébuleuse planétaire est située dans la constellation du verseau à une distance de 694,7 années-lumière ce qui fait d’elle la nébuleuse planétaire la plus proche de la terre. Sa forte ressemblance avec un œil humain lui a valu le surnom de « L’œil de Dieu ».

Elle s’est formée quand une vieille étoile, incapable de garder ses couches externes, a progressivement éjecté des coquilles de gaz. 
Nébuleuse de l'hélice
Credit: NASA, NOAO, ESA, the Hubble Helix Nebula Team, M. Meixner (STScI), and T.A. Rector (NRAO)
http://hubblesite.org/newscenter/archive/releases/2003/11/image/a/

M42- Nébuleuse d'Orion (ou NGC 1976)


La nébuleuse d'Orion, aussi connue sous le nom de M42 ou NGC 1976, est une nébuleuse en émission/réflexion au cœur de la constellation d'Orion

Située à environ 1350 années-lumière de la terre, elle est la nébuleuse diffuse la plus luisante qui peut être visible à l’œil nu dans un ciel de nuit sans pollution lumineuse. Elle est la partie principale d’un nuage de gaz et de poussière appelé nuage d’Orion qui contient en plus la Boucle de Barnard et la nébuleuse tête de cheval.


La nébuleuse d'Orion fut découverte en 1610 par Nicolas-Claude Fabri de Peiresc qui fut apparemment le premier à remarquer son aspect nébuleux.
Nébuleuse d'OrionCredit: NASA,ESA, M. Robberto (Space Telescope Science Institute/ESA) and the Hubble Space Telescope Orion Treasury Project Team
http://hubblesite.org/newscenter/archive/releases/2006/01/

mardi 15 mars 2016

Seul un homme en paix avec son créateur...


«Seul un homme en paix avec son Créateur peut trouver le sommeil dans un lieu de culte. [...] Je ne suis pas de ceux dont la foi n'est que terreur du Jugement, dont la prière que prosternation. Ma façon de prier? Je contemple une rose, je compte les étoiles, je m'émerveille de la beauté de la création, de la perfection de son agencement, de l'Homme, la plus belle oeuvre du Créateur, de son cerveau assoiffé de connaissance, de son coeur assoiffé d'amour, de ses sens, tout ses sens, éveillés ou comblés.» 

Omar Khayyâm

jeudi 10 mars 2016

EGON SCHIELE (1890 - 1918) : Biographie et œuvres


"L'art, ne peut pas être moderne, l'art est éternel."

Egon Schiele est né en 1890 à Tulln, dans une petite ville proche de Vienne en Autriche. Dès l'enfance il exprime un réel talent pour le dessin. Son père, qui exerce le métier de chef de gare l'encourage dans cette voie, mais atteint d'une maladie mentale, il meurt en 1905. 
Ce décès précoce ternit la jeunesse de Egon Schiele, et lui procure une vision du monde qui dès lors sera souvent sombre et torturée. 
Il décide contre l'avis de son tuteur Leopold Czihaczck, de poursuivre le dessin et d'entrer à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne. Mais il trouve que l'enseignement y est beaucoup trop académique, et il quitte les Beaux Arts en 1909 pour créer avec ses amis le  "Seukunstgruppe" ( Le Groupe pour le Nouvel Art).

La soeur de l'artiste, Mélanie, 1908, huile sur toile, 51 × 30 cm, Collection privée
Ses premiers travaux s'inspirent de l'impressionisme, mais très vite, il est attiré par la Sécession Viennoise. Son travail est alors très marqué par les travaux de Gustav Klimt. Mais d'autres influences telles que celles de Van Gogh, de Hodler, et de Georges Minne jouent aussi un rôle essentiel dans l'évolution et la construction de son style. ll peint des portraits, car ils sont pour lui à l'époque une activité lucrative. L' une des œuvres qui marque alors un tournant dans l'évolution de son travail pictural est le "Portrait de Gerti Schiele ", sa sœur, qu'il peint en 1909 . Il la  représente sur un fond vide, monochrome et uniforme. Cette mise en valeur du sujet sur des fonds monochromes sera l'une des caractéristiques de son style et marquera beaucoup d'oeuvres qu'il réalisera par la suite.
Portrait de Gerti Schiele, 1909, huile sur toile, 140 × 140 cm, Museum of Modern Art, New York, USA
Femme avec chapeau noir, 1909, huile sur toile, Collection privée
C'est à partir des années 1910 qu'il commence donc à affirmer ce style plus personnel caractérisé par le dépouillement de la forme, la sobriété du contenu, l'utilisation d'arrière plans sans ornement, sur lequel le personnage ou le sujet se détache. De plus, Schiele attache un très grande importance aux autoportraits. Il ne cherche pas à représenter sa condition sociale ni son état émotionnel, mais il cherche à transcrire l'intériorité angoissée du moi, par les positions excentriques du corps ou des mains qu'il peint. Ces positions non conventionnelles, les poses extrêmes, les traits déformés et grimaçants, créent une distance avec le spectateur et lui cause une gêne, voire une tension.
Portrait d'Eduard Kosmack, 1910, huile sur toile, Österreichische Galerie Belvedere, Vienna, Austria
Autoportrait avec bras sur la tête, 1910, aquarelle sur papier, 45.1 x 31.7 cm, Collection privée
Egon Schiele dessine vite. Il a un "coup de crayon", qui constitue une caractéristique à part entière de son art. Pour lui, le dessin a une valeur pour son côté allusif, immédiat, spontané, inachevé. La coloration des dessins sert qu'à renforcer l'expression qu'il veut donner au sujet. Mais il  évoluera progressivement en donnant aux parties arrondies du corps des formes anguleuses soulignées de traits fins, et précis. Il lui arrive aussi parfois de ne pas achever le dessin, de ne pas traiter le sujet jusqu'au bout, et de laisser le tableau inachevé. 
Autoportrait aux mains sur la poitrine, 1910, aquarelle sur papier, Collection privée
Le lutteur, 1913, Collection privée
Femme aux bas noirs, 1913, aquarelle sur papier, Collection privée
Egon Schiele enferme ses sujets dans des contours soulignés et bien visibles. Ses coloris sont les tons bruns, rouges, noirs et verts qui amplifient l'aspect dérangeant et inquiétant de ses peintures. La pâleur des chairs invoquent la mort. Cette manière d'utiliser les couleurs accentue la force expressive, et froide des compositions.
Amoureux Homme et femme, 1914, huile sur toile, Collection privée
Autoportrait double, 1915, aquarelle sur papier, Collection privée
Dans son œuvre, le nu occupe une place très importante. Il est en effet fasciné par le corps humain, par sa précarité et par les pulsions dont il est l'objet. Le corps de le femme l'inspire et il peint au cours des années des toiles dont les modèles prennent des positions de plus en plus provocantes. Les personnages sont souvent dans des poses figées, sans expressivité, mais remplies d'angoisse. C'est ainsi que le nu érotique et obscène a une place importante chez Schiele, qu'il représente le sexe masculin ou féminin, c'est toujours de manière univoque.
Femme nue, 1910, 44.3 x 30.6 cm, Albertina, Vienna, Austria
Homme nu assis, 1910, huile sur toile, 152.5 x 150 cm, Leopold Museum, Vienna, Austria
Schiele donne aussi aux mains une grande importance. La main, et le geste sont généralement très expressifs et prennent aussi des poses particulières, voire énigmatiques qui influencent profondément le caractère du tableau, ou sa signification. Les mains, tout comme les visages semblent être pour Egon Schiele non pas des moyens de communiquer au sens habituel, mais des moyens d'exprimer son être profond en dehors de toute convention sociale.
Willy Lidl, 1910, aquarelle sur papier, Collection privée
La signature elle même de l'artiste prend un sens dans ses tableaux. Il accorde beaucoup d'importance à la composition de celle ci où il indique son prénom, son nom et la date sous une forme close, comme un cachet d'authentification.
Selon les toiles, il appose parfois une ou plusieurs signatures, signifiant en cela celles qui étaient plus importantes pour lui. D'autres ne sont pas signées, sans doute pour mettre en évidence leur côté inachevé qu'il leur accorde. Sur certains dessins, la signature est placée à l'inverse du sens du dessin pour la lire, pour créer la distance par rapport à ce que l'on voit.

L'originalité totale d'Egon Schiele est finalement qu'il  fait du corps humain un puissant support de l'expressivité.
Au cours de l'année 1910, il peint un grand nombre de nus expressifs. ll quitte Krumau en 1911 et s'établit à Neulenbach pour vivre avec son modèle Valérie Neuziel, dite Wally.
En 1912, à la suite d'une condamnation pour distribution de dessins immoraux, il se voit confisquer quelques-uns uns de ses dessins érotiques, et fait trois jours de prison à la suite du procès de Sankt Polten. Son sentiment d'injustice et de révolte grandit : il réalise un certain nombre de dessins érotiques de plus en plus provocants. Sa révolte contre la société est exacerbée et trouve son expression dans un certain nombre d'œuvres comme par exemple "Le Cardinal et la Nonne" ou dans des autoportraits où il se peint en une victime incomprise.
Le cardinal et la nonne, 1912, huile sur toile, Léopold Museum
Vienne
Egon Schiele  et Valérie Neuziel se séparent en 1915. Le 17 juin de la même année, il épouse Edith Harms. Il est peu après mobilisé à Prague puis à Vienne.
L'art de Schiele évolue et semble devenir plus équilibré : les thèmes ne sont plus les mêmes, les corps sont moins torturés et moins fragiles. Il peint en 1918 un tableau intitulé " La Famille" qui caractérise particulièrement cette évolution
Cette année là, son œuvre connaît un véritable succès à l'exposition de la Sécession Viennoise. La plupart des tableaux qui y sont exposés sont vendus.
Quelques mois plus tard , le 28 octobre sa femme meurt de la grippe espagnole et lui même succombe de la même maladie trois jours plus tard, le 31 octobre 1918.
Etreinte, 1917, huile sur toile, 100 x170,2 cm, Osterreichische Galerie im Belvedere, Vienne 
Femme assise à la jambe repliée,1917, Craie noire et gouache (détail), National Gallery,Prague

Un petit documentaire sur schiele (anglais)

                http://www.wikiart.org/

lundi 7 mars 2016

Haïkus de Matsuo Bashõ


Le chêne
sa mine indifférente
devant les cerisiers fleuris


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Jour de l’an
je revois que je suis aussi seul
qu’un jour d’automne

Ito SHINSUI ( 1898 - 1972 )
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin.


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Neige qui tombait sur nous deux 
es-tu la même 
cette année ?

Suzuki Harunobu (1725–1770)

Au festival des étoiles 
les cœurs ne peuvent se rencontrer 
extase de pluie


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L’automne est arrivé
venant visiter mon oreille
un oreiller de vent


Itou Shinsui  (1898-1972)

Et maintenant
allons contempler la neige
jusqu’à tomber d’épuisement !


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La rosée goutte, goutte
voulant rincer enfin
la poussière de ce monde


Seien Shima(1892ー1970)

Le parfum d’orchidée
des ailes du papillon
parfume les habits


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De quel arbre en fleur ?
je ne sais 
mais quel parfum !


Tatsumi Shimura (1907-1980)

Ce chemin 
seule la pénombre d'automne
l'emprunte encore.


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Mes larmes grésillent
en éteignant
les braises.

Iwata Sentaro (1901 - 1974)
Désolation hivernale – 
dans le monde monochrome 
le bruit du vent.


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Devant l'éclair 
sublime est celui
qui ne sait rien !


Kikugawa Eizan (1787-1867)

jeudi 3 mars 2016

Science élégante #2

Petite sélection de 15 magnifiques photos scientifiques, de l'infiniment petit à l'infiniment grand
Bonne ballade !

L’œil d'une larve de mouche grossi 60 fois au microscope confocal,  Crédits : Dr. Michael John Bridge, HSC Core Research Facilities - Cell Imaging Lab, University of Utah, Salt Lake City
Nébuleuse de la lagune . Crédits: ESO
L'oeil de Jupiter ou la grande tache rouge, un gigantesque anticyclone de l'atmosphère de Jupiter. Crédits: NASA,Voyager 1
Une portion de l'hippocampe d'une souris transgénique marqué à l'aide de la technique Brainbow .Crédits : Dr. Tamily Weissman , Harvard University, Department of Molecular and Cellular Biology, Cambridge, Massachusetts.
Une macrophotographie d'une bulle de savon, utilisée par une équipe du CNRS pour étudier les cyclones ! Crédits : CNRS.
Photographie de la Voie Lactée, prise sur le Mont Buffalo National Park, en Australie. Crédits : Greg Gibbs
En utilisant des images de la Nasa, des publications de l’université Princeton et Photoshop, l'artiste Pablo Carlos Budassi a créé une fantastique carte de tout l’univers connu, visible en une seule image.  
Image en fausses couleurs du Soleil. Crédits : NASA/SDO/AIA
Le lac Carnegie en Australie. Crédits : NASA
Gif animé du nuage undulatus asperatus
Un embryon de poisson-zèbre observé en fluorescence et photographié au microscope. Crédits : Philipp Keller, USA
Du thé glacé sous le microscope. Crédits : Michael Davidson
Une photographie d'agate. Crédits : Douglas L. Moore
Gros plan sur une tête de papillon de nuit. Crédits : Martin Oeggerli.
Callisto, un des satellite de Jupiter. Crédits: Voyager 2

mardi 1 mars 2016

Kelly GREENHILL, Weapons of Mass Migration: Forced Displacement, Coercion, and Foreign Policy

Article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos (Revue Européenne des Migrations Internationales)

Le livre de Kelly Greenhill constitue un travail important qui, bizarrement, est pour l’instant resté inaperçu en France. Dans une perspective politique, il traite en l’occurrence de l’instrumentalisation diplomatique de la pression migratoire par les États, du Sud comme du Nord. L’auteur s’avère particulièrement convaincant lorsqu’il nous invite à ne pas sous-estimer la capacité des pays en développement à contrôler et exploiter les migrations transfrontalières, y compris en cas de débordement.

En guise d’introduction, Kelly Greenhill analyse ainsi comment, en 2004-2006, la Libye de Mouammar Kadhafi a négocié avec Bruxelles la levée des dernières sanctions économiques et la reprise des programmes de coopération de l’Union européenne en menaçant d’ouvrir ses frontières et de laisser passer les migrants africains désireux d’entrer dans l’espace Schengen. À l’occasion, rappelle l’auteur, certains États ont d’ailleurs mis leur menace à exécution et procédé à des expulsions massives. Au moment de la première crise du Golfe et de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, l’Arabie Saoudite, notamment, a chassé les immigrés yéménites afin d’inciter le gouvernement de Sanaa à revoir sa position, qui était favorable à Saddam Hussein. Bien entendu, le jeu des frontières s’est aussi exercé dans le sens contraire – celui de la fermeture – et le livre de Kelly Greenhill regorge d’exemples puisés parmi les régimes communistes qui, eux, avaient précisément essayé de bloquer les sorties de leur territoire, et non les entrées.

De ce point de vue, les cas d’études analysés en annexe s’avèrent être une précieuse mine d’informations. En effet, l’apport du livre de Kelly Greenhill se situe bien au niveau de l’étendue des connaissances, de la diversité des zones couvertes et de la variété des périodes traitées. L’auteur le dit lui-même. En soi, « la manipulation et l’exploitation politiques des migrations transfrontalières n’ont rien de nouveau et de particulièrement inhabituel. Elles puisent leurs racines dans une histoire longue, en temps de guerre comme de paix » (p. 262). De fait, l’instrumentalisation des flux de réfugiés par la rétention ou, au contraire, la création délibérée de crises migratoires, conjuguée à la menace d’exodes et d’expulsions, constitue un phénomène ancien et récurrent qui ne date nullement de la fin de la guerre froide. L’originalité de Kelly Greenhill est d’affirmer que le procédé se révèle plus efficace que les sanctions économiques, en particulier lorsqu’il vise des régimes démocratiques et donc plus sensibles à des pressions et des normes humanitaires. Depuis la signature de la Convention de Genève en 1951, l’auteur recense ainsi plus de cinquante cas de la sorte, dont plus de la moitié ont réussi à faire plier leur cible.

Deux enseignements majeurs ressortent d’une telle analyse. Le premier est que l’instrumentalisation des crises migratoires ne se restreint pas aux pays en développement et ne date pas de la fin de la guerre froide. En cela, l’ouvrage de Kelly Greenhill se distingue de la vulgate des théoriciens des nouvelles guerres qui se focalisent sur l’Afrique et redécouvrent avec effroi que les civils sont les premières victimes des conflits armés. Pour être juste, d’autres auteurs avaient déjà étudié de pareils phénomènes dans la première moitié du XXe siècle. Anita Prazmowska, par exemple, a montré comment, à partir de 1939, le gouvernement polonais en exil à Londres a essayé d’attirer ses ressortissants fuyant l’occupation nazie afin de les recruter dans les troupes alliées1. Mais Kelly Greenhill est le premier à rassembler un grand nombre de cas d’études de manière aussi cohérente et démonstrative.

Or il ressort de son livre un autre point saillant, presque systématique, à savoir le rôle structurant de l’aide internationale dans l’instrumentalisation et la gestion des crises migratoires. Au-delà de ses aspects économiques ou humanitaires, la demande d’assistance est parfois de nature militaire, à l’instar du président en exil Jean-Bertrand Aristide qui, en 1992-1994, avait évoqué la menace d’un exode de boat people haïtiens vers les côtes de Floride pour inciter les États-Unis à renverser la junte au pouvoir à Port-au-Prince. Kelly Greenhill nous invite ainsi à reconsidérer l’expulsion des Indiens d’Ouganda en 1972. À l’époque, il paraissait évident qu’Idi Amin Dada voulait mettre la main sur les propriétés d’une communauté réputée pour son aisance matérielle. Mais une bonne partie des Indiens visés disposaient aussi de la nationalité britannique et leur renvoi visait également à convaincre la Grande-Bretagne de reprendre son aide militaire, qu’elle venait de réduire du fait des errements de la dictature au pouvoir à Kampala.

Bien entendu, le chantage à l’aide par le moyen de la pression migratoire ne s’est pas limité à une négociation entre le Nord et le Sud. En 1984, par exemple, le président de l’Allemagne de l’Est, Erich Honecker, a menacé l’Ouest de laisser passer les demandeurs d’asile en provenance d’Asie ou du Moyen-Orient. Il a alors obtenu du gouvernement de Bonn une aide économique en échange de sa « bonne » volonté, qui consistait en fait à maintenir l’étanchéité du Mur de Berlin ! L’initiative, il est vrai, a également pu venir des puissances occidentales dans une logique qui relevait moins du chantage que d’une inquiétude soigneusement entretenue par les pays potentiellement bénéficiaires. En 1990 puis 1997, c’est ainsi l’Italie qui a décidé d’augmenter son aide à l’Albanie pour essayer de contenir l’arrivée des boat people qui traversaient l’Adriatique sur des embarcations de fortune. Aujourd’hui, les pays du Sud sont tout aussi concernés, à l’instar de la Chine qui, depuis le milieu des années 1990, maintient la Corée du Nord sous perfusion afin d’éviter un afflux de réfugiés et de miséreux sur son territoire.

De là à imaginer que les migrants ou les candidats au départ soient toujours les otages d’un vaste jeu diplomatique qui les dépasse, il y a certes un pas qu’on ne saurait franchir. De ce point de vue, Kelly Greenhill aurait sûrement gagné à intégrer davantage dans son analyse le rôle politique des migrants eux-mêmes. Il n’en reste pas moins que son ouvrage est hautement recommandable.